Indie Game: The Movie est un documentaire dédié aux jeux vidéo "indépendants". Autrement dit, des jeux vidéo realisés par des créateurs, solitaires ou en petit groupe, qui jouissent d'une liberté de création totale car ils ne sont pas soumis à des contraintes de rentabilité économique. Le film suit le quotidien des artistes à l'origines de deux jeux vidéo en particulier:
- Super Meat Boy, créé par Edmund McMillen (graphiste & game designer) et Tommy Refenes (programmeur & game designer)
- Fez, créé par Phil Fish (game designer & graphiste)
Le quotidien de ces deux équipes de créatifs est également agrémenté de quelques (trop) courtes interventions de Jonathan Blow, le créateur de Braid.
Tout au long des quelques 1h43 du film, nous partageons la vie du duo McMillen-Refenes et de Phil Fish lors d'une étape importante du processus de création de leur jeu. Le stress de la denière ligne droite pour les créateurs de Super Meat Boy, et l'angoisse de la présentation au public lors d'un salon pour celui de Fez. Alors qu'ils sont proches de la fin du développement de leur jeu, les réalisateurs du film amènent ces artistes à nous faire partager leur vision des choses, ainsi qu'à nous raconter la manière dont ils vivent la création vidéoludique indépendante.
Ce qu'il ressort avant tout de ce film est que la création d'un jeu vidéo "en indépendant" est une aventure personnelle. Comme le résume parfaitement Tommy Refenes, le fait d'être indépendant lui permet de faire le jeu qui lui plait, et "tant pis si personne d'autre que moi ne l'aime". Pourtant, son compère Edmund McMillen nous explique qu'à travers ses jeux, il cherche avant tout à communiquer avec les gens, à s'exprimer, mais "pas directement en discutant avec les gens, car je n'ai pas envie de leur parler. Mais indirectement, à travers un jeu qui leur ferai partager mes émotions". Bien que son jeu Braid soit déjà sorti depuis quelques années, avec l'immense succès qu'on lui connait, Jonathan Blow rejoint ses collègues sur le fait qu'un jeu vidéo indépendant est avant tout l'oeuvre d'un artiste, qui "ne cherche pas à lisser son oeuvre pour qu'elle rencontre un immense succès commercial, mais qui se projette tout entier à travers sa création, avec ses qualités et ses faiblesses". Ainsi, Edmund McMillen, depuis ses premiers jeux, cherche à exprimer un univers personnel qui l'anime depuis l'enfance. Si la noirceur de son univers lui à apparement valu quelques soucis étant petit (son institutrice ayant conseillé à ses parents de l'amener chez le psychologue après avoir vu ses dessins), il a aujourd'hui l'opportunité de communiquer avec de nombreuses personnes qui apprécient véritablement son côté sombre.
Pour autant, cette communication artistique à travers le jeu n'est pas toujours évidente. Jonathan Blow nous raconte d'ailleurs sa relative déception lorsqu'il réalisé que de nombreux joueurs étaient passé à coté du message de Braid. Ces derniers n'y ont vu qu'un "petit jeu de plateforme rigolo où on peut remonter le temps", alors qu'il repose sur une trame à plusieurs niveau de lectures. Les différentes énigmes, reposant sur un jeu avec le temps, renvoient finalement à une thématique plus profonde à travers l'histoire d'un homme qui "recherche sa princesse". Mais ladite princesse n'a rien de la classique princesse-en-détresse : elle se rélève être la quête obsessionnelle d'une découverte scientifique dont le monde se serait bien passé... Je ne dévoilerais pas plus l'intrigue de ce jeu, car sa découverte est ce qui le rend particulièrement riche et profond. Mais dans le documentaire, son créateur du jeu, vidéos à l'appui, nous montre que nombreux joueurs n'ont pas réussi à comprendre son message. Ces derniers sont restés au niveau de lecture le plus superficiel du "plaisir de la résolution d'énigmes" sans se poser la question du "pourquoi?".
Loin d'être limité au jeu vidéo, la question de la communication de messages à travers une création artistique (peinture, film, livre, bande dessinée...) est une thématique qui occupe les artistes depuis longtemps. En allant chercher les créateurs de jeu pour leur donner la parole, ce film montre finalement à quel point le jeu vidéo est un objet culturel et artistique au même titre que les autres.
Sachant cela, on peut alors se demander à qui s'addresse finalement ce film. De prime abord, on pourrait croire qu'il vise les seuls créateurs de jeux indépendants. Mais après visionnage, je dirais qu'au contraire ce film s'addresse à tout le monde, sauf aux créateurs de jeux indépendants. J'en veux pour preuve les torrents de haine déversés sur ce film dans un des sites piliers de la communauté de créateurs de jeux indépendants, TIGSource.
La principale critique de la communauté des game designers indépendants ne s'addresse pas tant au film qu'à ses sujets. Si, d'une part, les membres de cette communauté ne découvrent pas grand chose dans ce documentaire car il ont déjà fait l'expérience de la création vidéoludique indépendante, nombreux sont avant tout mécontents du choix des créateurs qui ont été interviewés. En effet, les réalisateurs du film ont interviewés, durant deux ans, un grand nombre de créateurs indépendants de jeux vidéo. Si leur idée initiale était de réaliser un documentaire montrant de nombreuses figures du milieu, au final leur choix s'est uniquement focalisé sur deux jeux en cours de réalisation lors du tournage. Ces deux jeux ont finalement rencontré un énorme succès commercial, et les quelques commentaires supplémentaires proviennent d'un créateur ayant également connu un succès commercial. Nombreux sont donc ceux qui critiquent le choix d'avoir créé un film dont le titre laisse supposer qu'il traite des jeux vidéo indépendants en général, alors qu'au final il ne met en avant que quatre créateurs ayant rencontré le succès, oubliant les nombreux créateurs restés dans l'ombre. En ce qui concerne les critiques sur le choix de Jonathan Blow et de McMillen et Refenes, on peut penser qu'il s'agit avant tout de jalousie mal placé. Le cas est plus compliqué pour Phil Fish, dont la présence dans ce film est la plus critiquée. Il faut savoir que Fez a bénéficié d'une énorme couverture médiatique au sein de la communauté car il a remporté un prix au prestigieux "Independant Games Festival" en 2010, alors que le jeu ne sortira finalement qu'en 2012. Si l'on y ajoute le comportement assez "spécial" de son créateur (qui a eu le malheur de répondre de manière assez "colorée" à des critiques le concernant via Twitter), nombreux sont ceux qui ont pris pour pretexte la présence de Phil Fish pour descendre en flamme le film tout entier. Pourtant, même si la manière de communiquer sur Internet de Fish est effectivement peu cavalière, je trouve que dans le film il n'a rien du "connard prétentieux" que sa réputation sur Internet laisse entendre. Au contraire, on découvre qu'il est un artiste obsessionnel, enfermé dans une spirale infernale de quête de la perfection qui l'a déjà amené à recommencer trois fois le développement de son jeu. Artiste profondément engagé dans son oeuvre, il confie même à la caméra qu'il "se tuera s'il n'arrive pas à terminer son jeu", sur lequel il travaille depuis déjà 4 ans.
Quoiqu'il en soit, si vous êtres un créateur de jeu indépendant jaloux de Phil Fish, alors ce film n'est clairement pas pour vous. Dans tous les autres cas, je pense que vous avez tout intérêt à le regarder. Que vous soyez un joueur qui souhaite découvrir que son loisir favori est bien plus qu'un "bête divertissement", un érudit qui demande à être convaincu du statut artistique du jeu vidéo, un créateur de jeu qui souhaite voir "qu'il n'est pas seul", ou même un simple curieux qui ne connait pas grand chose au jeu vidéo et qui a envie de partager une courte tranche de vie de gens profondément passionants, alors ce film est fait pour vous.
Etant moi-même créateur de jeux vidéo à l'occasion, j'ai personnellement été très touché par ce film. Les quatres créateurs à qui le documentaire donne la parole sont tous des gens passionnants, autant par leur parcours que par leurs réalisations. Leurs différences nous font montrent que chaque artiste est unique, mais pourtant les épreuves du processus créatifs qu'ils traversent chacun de leur coté sont profondément similaires. Un autre de leur point commun est la passion qui les anime, au point qu'ils aient fait choix de se consacrer uniquement à la création de jeu en toute indépendance créative, et donc sans garantie de succès commercial. S'ils sont aujourd'hui récompensés par un succès critique et commercial, les quatres artistes présentés dans le film récoltent les fruits d'un pari qui était plus que risqué : avoir confiance en leur art. Plutôt que de les jalouser, j'aurais plutôt tendance à les admirer, d'autant plus que leurs oeuvres me parlent personnellement.
Je me souviens encore de Braid, que j'ai terminé il y à déjà trois ans. Au départ, je n'y voyais qu'un "bon jeu", à l'univers envoutant et aux puzzles particulièrement engageants. Mais au fur et mesure que j'approchais de la fin du jeu, ce qui n'était qu'un simple plaisir ludique s'est mué en une expérience transcendante. Durant toute la partie, vous collectez des bribes d'histoires, qui prennent un tout autre sens à la fin du jeu. Le jeu vous laisse alors une impression de "'woaw" particulièrement durable un fois que vous l'avez terminé. Peu de jeux, livres ou films sont arrivés à me toucher à ce point.
Le simple fait de voir un génie comme Jonathan Blow s'exprimer rend donc déjà ce film passionnant à mes yeux. D'autant plus que Blow, par sa diction, dégage un impression de calme propice à la réflexion et à l'écoute. C'est d'ailleurs une des forces de ce film, à la photographie très belle et à la musique discrète : le rythme contemplatif qu'il impose sert grandement le propos des artistes. On arrive même à éprouver une forte empathie avec ces game designers, au point qu'on partage tour à tour la dépression de Refenes, l'angoisse de Fish ou la zenitude de Blow. Et c'est en cela que je pense que le film réussi sa mission : il ne s'addresse pas qu'au seul passionné de jeu vidéo. S'il parle effectivement de jeu vidéo, le film est réalisé de manière à créer un lien entre le spectateur et les protagonistes, et constitue donc une expérience cinématographique à même d'intéresser tout-un-chacun.
Indie Game: The Movie étant un film indépendant, il ne passera malheureusement pas au cinéma. Mais cela ne vous empêchera en rien de le voir, puisqu'il est possible de l'acheter pour seulement 9.99$ sur son site officiel, dans une version sans DRM, avec le choix des formats (HD ou non...) et surtout avec des sous-titres dans plusieurs langues (dont le français !). Le film est également disponible à l'achat sur Steam, sous forme d'une application contenant le film et quelques bonus. Et pour ceux qui auront la chance de se trouver en région parisienne les 29 et 30 juin, le film y sera projeté à la Gaité Lyrique.
Les European Serious Games Awards ont pour but de célébrer les meilleurs jeux vidéo pour l'apprentissage créés en Europe. Nous nous appuyons sur une évaluation scientifique des jeux soumis afin de récompenser non seulement les meilleurs Serious Games, mais également les meilleurs travaux académiques dans le domaine. La cérémonie de remise des Awards aura lieu durant la conférence VS-Games 2012 qui se tiendra à Gênes, en Italie, le 30 octobre 2012.
Awards pour les Serious Games :
Award pour l'évaluation des Serious Games :
Award pour les recherches d'étudiants:
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site officiel des European Serious Games Awards
Les European Serious Games Awards sont organisés par GALA, un réseau d'excellence Européen sur la recherche en Serious Games.
Les journées JIES Paris 2012 abordent le thème des jeux dans la médiation et l’éducation scientifiques. Destinées aux professionnels de l’éducation, de la médiation et de la communication des sciences, elles sont axées vers la réflexion sur les rapport entre sciences, techniques, apprentissages et jeux. Ludoscience, représenté par Julian Alvarez, a été conviée à participer à la manifestation les 2 et 3 mai derniers. Merci à l'association Traces pour son invitation. Nous reviendrons avec plaisir pour échanger avec les acteurs qui se questionnent sur l'introduction du jeu dans le monde de l'éducation.
Photos : cafepedagogique.net
Voici quelques liens dédiés aux JIES 2012 :
Nous avons écrit un article sur l'origine historique des "Serious Games", qui a été publié dans l'ouvrage "Serious Games and Edutainment Applications", édité par Springer en début d'année. Nous y abordons les origines historiques de l'expression "Serious Game" et de ses diverses définitions, ainsi qu'un voyage dans l'histoire du jeu vidéo à la recherche des premiers "Serious Games", qui sont apparus avant les premiers jeux vidéos de divertissement...
Cette ouvrage, qui rassemble de nombreuses contributions scientifiques sur les Serious Games, est disponible à la vente sur le site de Springer. Mais pour ceux qui souhaiteraient uniquement lire notre chapitre sur l'histoire du Serious Game, une version "draft" (texte intégral avant mise en page par l'éditeur) est dorénavant téléchargeable sur notre site.
Citizen Game est l'autobiographie de Nicolas Gaume, et plus particulièrement de sa société bordelaise Kalisto, un des développeurs de jeux vidéo phares des années 1990. Acclamé pour la qualité des créations, la société fut malheureusement une des victimes de l'éclatement de la "bulle Internet" à l'aube des années 2000.
Au long de ses 400 pages, cet ouvrage, bien écrit et agréable à lire, raconte l'histoire d'un jeune homme qui avait un rêve : créer des mondes ludiques et immersifs. Entrepreneur dans l'âme, Nicolas Gaume nous raconte dans le détail comment il est passé d'un "club de copains qui font des jeux pour le plaisir" au grand studio international (avec des antennes à Bordeaux, Paris, aux USA et au Japon) employant plus de 300 personnes.
Tout au long de cette aventure, l'auteur nous confie ses doutes, ses espoirs, nous parle des personnes qu'il a rencontré (de son mentor Pierre Delayenne à un certain Steven Spielberg) avec un style d'écriture qui prend aux tripes. Au fur et à mesure des pages qui défilent, Nicolas Gaume nous immerge dans sa propre aventure, et on se surprend à se prendre d'affection pour ses premiers collaborateurs, ou encore à écraser une larme lorsqu'il évoque la disparition de Pierre Delayenne. Si les deux premiers tiers du livre narrent l'inexorable ascension de Kalisto malgré quelques embuches, la dernière partie du livre est empreinte d'une atmosphère bien plus pesante. Entrée en Bourse, la société est maintenant à la merci des requins de la finance pour sa survie, portée par l'engouement des investisseurs pour tout ce qui touchait aux nouvelles technologies à la fin des années 1990. Malheureusement, cette "bulle Internet" éclatera au début des années 2000, entrainant de nombreuses compagnies innovante et prometteuses avec elle...
La France, en particulier, a payée un lourd tribu dans cette affaire, avec la disparition de nombreuses sociétés de notre secteur du jeu vidéo, dont Kalisto était un des fleurons. On se surprend alors à détester les gens de la finance, notamment les nombreux directeurs financiers et autres commissaires aux comptes, qui, soit par malhonnêteté, soit par incompréhension d'un secteur industriel trop différent du leur, ont visiblement mal aiguillé cette société pourtant promise à un avenir radieux. Bien que l'on connaisse la fin de l'histoire avant d'avoir ouvert le livre, ce dernier nous laisse entrevoir un espoir de survie de l'entreprise jusqu'à la dernière page, où l'on réalise alors qu'il s'en est finalement fallu de très peu. Un brin de clémence supplémentaire de la part de la COB, la rencontre avec d'autres cabinets de conseil que ceux qui ont croisé la route de Nicolas Gaume, ou tout simplement un peu de foi dans l'avenir du jeu vidéo en tant que secteur industriel porteur de la part des financeurs, et peut-être que Kalisto serait encore debout, et compterai toujours parmi les "gros poissons" de cette industrie. Mais la vie est parfois cruelle, et on ne peut qu'être profondément touché par la fermeture de cette entreprise, malgré toute la volonté dont à manifestement fait preuve son fondateur pour la maintenir à flot. L'histoire est d'autant plus cruelle quand on se souvient la vindicte médiatique qui a touché Nicolas Gaume, qui a pourtant investi énormément de lui même dans l'aventure. On est alors triste pour l'auteur quand on apprend qu'il se retrouve criblé de dettes pour avoir cru en son entreprise, alors que les conseillers financiers qui ont visiblement fait preuve d'incompétence dans cette histoire ne se retrouveront pas inquiétés...
Petite lueur d'espoir dans ce monde injuste, la justice conclura, quelques cinq ans après la fermeture de l'entreprise, que Nicolas Gaume et les administrateurs de la société ne sont pas en cause dans la faillite de Kalisto. Dans son jugement, le tribunal de commerce de Bordeaux incite plutôt les mandataires liquidateurs, à l'origine de la plainte, à se retourner contre la COB, qui a empêchée l'entreprise d'aller chercher sur le marché américain des capitaux qui auraient pu la sauver, mais aussi contre le Crédit Lyonnais, alors banquier de l'entreprise, dont la pertinence des conseils en matière de stratégie de financement pour l'entreprise soulève quelques interrogations à postériori (cf. un article du journal Sud-Ouest à propos du jugement)
Aussi passionnant que soit le récit de Nicolas Gaume, personnellement je lui adresserai quand même une petite critique : l'ouvrage évoque assez peu les jeux réalisés par la société, ce qui est d'autant plus dommage que certains d'entre eux sont excellent. Certes, la plupart des réalisations du studio sont mentionnées, de même que leurs créateurs sont cités, mais on en apprend finalement assez peu sur la genèse des jeux en eux-mêmes, à l'exception des premiers titres du studio. Mais sachant que 400 pages suffisent à peine pour raconter les grandes lignes de l'évolution de l'entreprise elle-même, j'imagine aisément que raconter l'histoire de chacun de ses jeux nécessiterai la publication d'un second volume !
Ceci étant dit, je recommande quand même aux futurs lecteurs de cet ouvrage d'aller se renseigner, voire même d'essayer par eux-mêmes certains des jeux de Kalisto. D'une part, cela permettra de mieux comprendre les tribulations contées dans l'ouvrage, et de l'autre cela rendra encore plus douloureuse la disparition d'un studio si talentueux.
Un des premiers grands succès du studio est Fury of the Furries, un sympathique jeu de plateforme. La qualité de ce titre permettra à Kalisto d'intéresser Namco, qui leur confiera la licence de Pac-Man pour créer un jeu de plateforme mettant en scène la célèbre mascotte à partir de leur moteur de jeu : Pac-in-Time .
Arriver à intéresser un des acteurs majeurs du secteur pour créer un jeu mettant en scène la mascotte vidéoludique la plus populaire qui soit est déjà un très belle performance. Mais personnellement, le jeu qui m'a plus le marqué dans la ludographie du studio est sans conteste Nightmare Creatures. Je me rappelle encore le moment où j'ai essayé la démo de ce jeu sur ma Playstation : l'ambiance sombre de ce Londres victorien ; le héros, un moine qui se balade avec un bâton assorti de lames bien aiguisées... Quand tout à coup un zombie apparait ! Deux coups de tatanes, et le zombie est à terre, ouf... Mais, il se relève ??? Et oui, on ne tue pas un mort-vivant si facilement ! Après quelques tâtonnements, je réalise enfin qu'en appuyant sur la touche de direction "avant" tout en donnant un coup de bâton, il est possible de couper les zombies en deux, un traitement radical pour les empêcher de se relever. Avec un brin de dextérité, il est même possible de leur couper uniquement la tête, ce qui permet d'essayer quelques combos bien placés sur leur corps décapité qui continue sa route en titubant... Ah, et vous ai-je parlé de ces gerbes de sang qui giclent lorsque l'on tue les zombies, loup-garous, gargouilles et autres monstruosités qui pullulent dans le jeu ?
La lecture de Citizen Game m'a donné une furieuse envie de réessayer ce beat-em up en 3D assez révolutionnaire pour l'époque, autant en terme de gameplay que d'ambiance gothiquo-horrifique. Si le jeu a inévitablement vieilli, force est de constater qu'il est toujours très amusant. Alors certes, un joueur d'aujourd'hui pestera contre ces contrôles un brin rigide et une caméra pas toujours au point, mais l'alchimie du combat contre d'immenses monstres, qui se termine par un découpage de membres en règle, est toujours aussi plaisante. On dira ce que l'on voudra, mais Kalisto avait véritablement trouvé une recette parfaite dans ce titre, alchimie qu'ils auront malheureusement du mal à reproduire dans sa suite.
Autre grand succès de Kalisto, Dark Earth est également un titre qui vaut le détour. Jeu d'action-aventure en 3D, un des points fort du jeu est sans conteste son univers, empli d'une poésie à la fois moyennageuse et post-apocalyptique. De magnifiques visuels viennent appuyer une histoire assez originale pour l'époque, avec un héros qui se retrouve infecté par un virus le transformant peu à peu en monstre "obscur". Pour trouver un remède, le héros du jeu devra explorer une "Stalitte", nom donné aux cités souterraines dans laquelle l'humanité s'est réfugiée après l'impact d'une météorite ayant engendrée un nuage de poussière qui a assombri le ciel (d'où le nom de l'univers du jeu, "Sombre Terre"). Autre point fort du jeu : les combats. A croire que la société avait pas mal d'amateurs d'arts martiaux dans ses rangs ! Si ce jeu aura connu un succès critique et populaire, sa suite vivra quand à elle un destin des plus funestes. Après ce premier succès, Kalisto sort les grands moyens pour le second épisode : tentative d'adaptation cinématographique du jeu (d'où la rencontre de Nicolas Gaume avec Steven Spielberg), implication de la société Multisim pour dévelloper l'univers et créer un jeu de rôle papier, et surtout, signature d'un contrat d'édition de Dark Earth II avec Squaresoft , le géant du RPG japonais (Final Fantasy...). Suite à cette signature, l'éditeur japonais dépechera même dans les locaux de l'entreprise bordelaise son talentueux illustrateur Tetsuya Nomura (à qui l'on doit, entre autres, le character design de Final Fantasy VII) pour travailler sur le titre. Autre bénéficiaire des relations entre Kalisto et Squaresoft, Vagrant Story, un jeu de rôle japonais se déroulant dans un univers à l'architecture inspirée par la ville de Saint-Emilion, près de Bordeaux. Malgré toutes ces bonnes augures, les difficultés financières de Kalisto, combinées à celles que rencontrera Squaresoft suite à l'échec commercial du film Final Fantasy - les créatures de l'esprit, mettront malheureusement un terme au projet au bout de deux ans et demi de travail...
En plus des jeux d'action et des jeux d'aventure, la troisième spécialité de Kalisto se trouve dans la création de jeux de course. Figure de proue de la société pour ce domaine, Ultim@te Race Pro est un jeu de course très sympathique. Même si on peut lui reprocher un très faible nombre de circuits (3 ou 4 de mémoire), il procure de très bonnes sensations de vitesse, doublé d'un rendu graphique à la pointe pour l'époque. Cela vaut d'ailleurs au jeu de retrouver en bundle avec plusieurs cartes graphiques. Pour l'anecdote, je crois qu'il s'agit du jeu que je possède en plus grand nombre d'exemplaires : un premier que j'ai acheté en magasin, un second que j'ai eu en bundle avec ma carte graphique, un troisième qui se trouvait dans un pack "5 jeux d'action", et enfin un quatrième que j'avais eu en cadeau avec un magazine. S'il fallait un exemple du talent de Nicolas Gaume en matière de marketing et de partenariat pour assurer la distribution de ses titres, je crois que la profusion d'éditions de Ultim@te Race Pro parle d'elle-même !
Comme vous l'aurez compris, Citizen Game fait partie des ouvrages que je recommande à tout amateur d'histoire du jeu vidéo. A travers l'épopée d'une entreprise française de premier plan, il permet de mieux cerner l'histoire de notre loisir durant les années 1990 et 2000. A mes yeux, une des grandes forces de cet ouvrage est d'illustrer la croissance exponentielle des budgets de production vidéoludique, et la manière assez rapide dont on est passé d'équipes de une ou deux personnes pouvant créer un hit durant leur temps libre à la nécessité de mobiliser plusieurs centaines de personnes durant plusieurs années, sans pour autant avoir plus de garanties de réussite commerciale. D'une manière un peu cruelle, cet ouvrage permet aussi comprendre que le jeu vidéo d'aujourd'hui est aussi une grosse industrie, et que le talent seul ne suffit plus pour produire des hits sur consoles : il faut aussi de l'argent, beaucoup d'argent. Enfin, même si l'histoire de Kalisto a déjà dix ans, les questions que soulèvent Nicolas Gaume dans son ouvrage restent d'actualité : vu la crise économique que nous traversons, il faut croire que peu de gens ont tirés des leçons de la tristement célèbre "Bulle Internet"...
Touchant quand il est profondément intime, instructif quant il prend de la hauteur sur l'industrie vidéoludique et captivant quand il nous narre tout simplement l'histoire de sa vie et de sa société, Nicolas Gaume signe ici un excellent ouvrage. A 21€ les 400 pages de passion et d'émotion, vous auriez tort de vous en priver !