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LES JEUX SERIEUX : L?INNOVATION ENVERS ET CONTRE LES INSTITUTIONS ? Nicolas Doduik - 2014

Informations

Support : Références scientifiques
Auteur(s) : Nicolas Doduik
Editeur : ENS de Cachan, Université Paris 4 La Sorbonne, Mémoire de Master 2 de sociologie
Date : 2014
Langue : Langue


Description

INTRODUCTION

 

« Grâce aux nouvelles technologies, vous avez aujourd'hui des jeux sérieux, qui permettent aux enfants de manière ludique, comme on faisait pour la sécurité routière quand on était petits à l'école, qui apprennent ce que c'est une entreprise, l'économie, le chômage, des concepts économiques de base. Donc on va développer dans les collèges et lycées des apprentissages de culture générale économique. » Ainsi s’exprimait sur les ondes de RMC Fleur Pellerin, encore ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique le lundi 29 février 2014. Son intervention témoigne de la volonté des institutions publiques de s’intéresser aux secteurs innovants des jeux vidéo. Le courant des « jeux sérieux » ou serious game, jeux à vocation utilitaire, apparaît dans ce discours comme une réponse aux difficultés que rencontre l’école dans la transmission des savoirs, en l’occurrence les connaissances économiques. Cela pose la question cruciale du déclin des programmes institutionnels traditionnels, et des rapports qu’entretiennent les institutions publiques avec les secteurs innovants des nouvelles technologies.

 

Jeu sérieux : un oxymore ?

 

Le « jeu sérieux » ou « serious game », label récent Julian Alvarez et Damien Djaouti identifient l’avènement d’un courant du “serious game” dont le premier titre significatif est America’s Army sorti en 2002 [Alvarez et Djaouti 2012]. Ce jeu ressemble au premier abord à n’importe quel first person shooter (jeu de tir à la première personne) et rivalise avec les plus grosses productions commerciales vidéoludiques de l’époque. Il est pourtant distribué gratuitement, car il s’agit en fait d’un outil de propagande pour le recrutement de l’armée américaine financé à hauteur de sept millions de dollars. Il permet à la fois d’entraîner de futurs soldats aux véritables techniques militaires, et de faire découvrir aux néophytes la formation que propose l’armée américaine. Selon Alvarez et Djaouti, le « jeu sérieux » ou « jeu à intention utilitaire » est une application informatique qui s’appuie sur le jeu vidéo pour tenter de s’écarter du divertissement : il a pour principale vocation d’apprendre, d’informer, d’expérimenter, de s’entraîner tout en 5 jouant. America’s Army marque le lancement de ce mouvement la même année que le consultant Benjamin Sawyer, futur fondateur de la Serious Game initiative, rédige un livre blanc sur le sujet [Sawyer 2002]. Depuis, de nombreuses entreprises se sont spécialisées dans la création de jeux sérieux revendiqués comme tels. Comme l’analyse Johan Huizinga, c’est la civilisation moderne qui a séparé les sphères du jeu et du sérieux : c’est à partir du XIXème siècle que les « idéaux de travail, d’éducation et de démocratie ne [laissent] guère de place au séculaire principe du jeu » [Huizinga 1938, p.311]. Selon l’auteur, le jeu n’était pas qualifié de divertissement chez les peuples « primitifs » mais faisait partie intégrante de la vie courante ; ce sont les peuples « civilisés » qui ont spécifié le jeu et l’ont séparé d’autres sphères considérées par la suite comme « sérieuses » (notamment, la sphère du travail productif). Il est donc intéressant d’observer cette sorte de retour à l’imbrication entre les domaines du jeu et du sérieux. Le serious game regroupe depuis 2007 un ensemble de marchés (défense, santé, éducation, politique, formation…) et brasse entre 1,5 et plus de 10 milliards de dollars : cette large fourchette s’explique par une diversité de définitions concernant les jeux sérieux, et par sa proximité avec le marché des jeux vidéo « classiques ». Il y a cependant une même notion qui unit toutes ces productions : l’idée que le jeu peut avoir une dimension utile et productive. A l’encontre des conceptions de « cercle magique » (sphère close séparée de la vie réelle) ou d’« action dénuée de tout intérêt matériel » de Huizinga [1938] et Caillois [1956], les producteurs de jeux vidéo sérieux revendiquent une fonction utilitaire pour leurs applications, que ce soit pour apprendre, former, sensibiliser, ou soigner. L’état de l’art sur les jeux vidéo sérieux ne peut se comprendre que si l’on prend en compte plus généralement toute la littérature qui a été écrite sur les jeux.

 

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Références (1) :

 

ALVAREZ, Julian, et Damien DJAOUTI. Introduction au Serious Game / Serious Game : An introduction, (Édition : 2e Revue et augmentée)., Questions Théoriques, 2012.

 

 

 



Mots-clés : Serious Game, Jeux Sérieux, Innovation, Sociologie, Nouvelles technologies